« Piétons, si vous lâchiez un peu vos écouteurs ?« , je lis chez Rue89, qui s’étonne que des mesures ne soient pas prises alors que les accidents de piétons portant un casque augmentent.

Je me dis que c’est quand même étonnant de voir cette logique déformée: on constate que la rue est dangereuse pour le piéton, et de ce fait on lui conseille à lui, au piéton, d’ouvrir le radar et de faire attention à sa vie. En poursuivant la logique, le sourd, le handicapé, la personne âgée ou l’enfant ne devraient probablement pas sortir, parce que pas suffisamment équipés pour faire face au danger.

Avec le développement des infrastructures pour la voiture, le piéton s’est effectivement retrouvé un peu sur la touche. Les centres sont bien sûr aménagés pour la plupart ou ont été réaménagés, mais en dehors le piéton se faufile où il peut, quand il peut. Sur un trottoir étroit, le long de la circulation, sur un passage qu’on lui a aménagé – pas forcément là où il a besoin de traverser, sans forcément assez de temps pour passer, au travers de la circulation plutôt que dans un passage souterrain glauque, etc, etc. La conception de la circulation a été influencée par la voiture, depuis qu’elle est devenue l’outil moderne qui allait libérer les déplacements. On fait circuler, on « débite », on autorise des vitesses élevées y compris dans les localités. Le piéton fait avec, fait attention, cherche le lieu et le moment pour traverser. Le piéton « vulnérable », enfant par exemple, est souvent gardé à l’écart de cette source de danger, transporté à l’école en voiture etc.  Et on ne parle même pas du bruit et de l’odeur, ou plutôt du goudronnage de poumons.

Je pense donc qu’il y a un problème de causalité et de priorités dans la ville. Le code de la rue (par opposition au code de la route) propose le principe de prudence du plus fort vis-à-vis du plus faible comme condition de base pour la cohabitation. Il a le mérite d’avoir posé ce prérequis qui est une évidence quand on vise une égalité entre l’humain à pied et celui qui se déplace dans un engin de 2 tonnes (ou plus). Ce qui manque maintenant c’est une véritable application de ce principe, qui passe par la pacification des espaces partagés et la création d’aménagements piétons bien placés, bien dimensionnés, accessibles à tous. Je ne parle bien sûr pas du fait d’éliminer le danger, idée bizarre qui nous mènerait vers une société où les « conduites à risque » seraient impossibles et le libre-arbitre supprimé, évidemment non. Non, je parle de réfléchir au passage à niveau au lieu de réfléchir sur le fait que le piéton qui passait portait des écouteurs. Réfléchir à l’absence de traversée aménagée, au lieu de se dire qu’avec les écouteurs, « le coup de klaxon n’avait pas suffi ». Réfléchir aux vitesses qu’on permet, en regard avec les publics qui y font face. Après des décennies de dimensionnement « hydraulique » des transports, pour les flux de voitures, il est franchement temps.