A Buenos Aires, en vélo, on a rapidement l’impression de naviguer, dans les avenues – le flux ressemble à celui d’une rivière, il est le plus rapide au milieu et plus lent sur les deux bords (d’ailleurs, les voies extrêmes servent surtout comme stationnement, ou entreposage de containers). En circulant en voiture, cette impression est encore plus forte, voire on se dit qu’on est un poisson parmi d’autres qui descend ce courant, d’autant plus que les changements de voies se font de manière souple, souvent sans clignotants, et que rouler à cheval sur une ligne ne pose de problèmes à personne. Personne ne semble déstabilisé non plus en arrivant sur des portions de largeur équivalente à 5 voies mais non marquées.

Je repense à cette analogie de rivière justement en testant pour la première fois Buenos Aires en voiture. En plus de cette « fluidité » de circulation sur les avenues, la perméabilité est grande: les rues et avenues sont en grande partie à sens unique, mais peu de mouvements sont interdits. L’automobiliste « navigue » donc de manière très libre au niveau de l’itinéraire et de l’heure de déplacement, s’aidant du GPS et trouvant la meilleure stratégie pour moins subir les périodes de pointe.

Avec cette expérience, je reprends les transports publics, et la différence de conditions de déplacements me saute bien sûr à la figure. Le système est segmenté entre métros, trains régionaux et bus, non coordonnés entre eux ni au niveau des horaires ni au niveau des interfaces. Le réseau de métro est limité au niveau du territoire desservi et des horaires (voir plus de détails ici). Le réseau de bus couvre pour sa part une grande partie du territoire (sans qu’il soit possible de visualiser cette couverture, je n’ai trouvé aucune carte à ce jour, uniquement des outils de recherche ligne par ligne / itinéraire par itinéraire) et circulant 24h/24, mais sans horaire ni fréquence, avec une énorme complexité même pour une ligne donnée – la ligne 57 a par exemple 19 itinéraires différents et constitue quasiment un réseau à elle seule). En plus de la complexité de choix d’itinéraire, l’utilisateur subit souvent un parcours tortueux, choisi par l’entreprise pour maximiser le territoire couvert, pénalisant bien sûr beaucoup le temps de parcours. Un outil en ligne permet de trouver et comparer les itinéraires à l’intérieur de la capitale, et représente déjà une grande amélioration par rapport à la situation d’avant – identifier un service qui connecte bien A et B, et découvrir en l’utilisant dans quelle mesure il est performant. Pour les trajets en relation avec l’extérieur, les aides sont assez peu efficaces, et les options moins nombreuses.

Flux et vannes donc – là où l’automobiliste navigue plus ou moins librement, l’utilisateur des transports publics doit s’adapter à un système rigide et difficile à comprendre, fonctionnant de manière aléatoire dans le temps et impacté en très grande partie par la congestion. Le contraste est assez frappant, et donne un éclairage supplémentaire sur la ségrégation au niveau des transports – grossièrement, les transports publics sont le moyen de transports du pauvre. La voiture a pour sa part un lustre de symbole de statut social et d’une certaine liberté également. Une discussion avec un dépanneur de l’Automovil Club Argentino m’apprend que le budget moyen de la voiture est 30% du salaire. Un chiffre assez choquant, qui fait penser que l’on envisage de s’endetter pour avoir une voiture. C’est une valeur que je vais tâcher d’étayer!